mercredi 18 juillet 2012

traditions : Cérémonie des Jarretières à Auchonvillers (Somme, Picardie)


Dans la commune d’Auchonvillers, en Picardie, avait lieu autrefois le deuxième jour de la fête du village, la cérémonie des Jarretières, obéissant à un rituel convenu et prélude au bal du soir...

C’est aujourd’hui lundi, deuxième jour de la fête communale. Hier, les jeux de ballon et quelques autres divertissements, trop peu variés, hélas ! dans nos pauvres campagnes, ont amusé paysans et enfants ; puis le soir, le bal a attiré la rustique jeunesse du village et des environs, et tous ces gars aux larges épaules, aux jarrets solides, et ces filles rougeaudes, dont la poitrine puissante se trouve mal à l’aise dans le corset des dimanches, ont sauté, tourbillonné, dansé jusqu’aux premières lueurs du jour.
Tout à coup le violon de la veille se fait entendre. C’est la cérémonie des Jarretières qui commence. Les jeunes gens du village accompagnent le vieux ménétrier et chantent au refrain. L’un d’entre eux, affublé d’une redingote démodée qui lui descend aux talons, et coiffé d’un ancien chapeau haut de forme des plus burlesques, porte une perche ornée d’un cerceau à l’un des bouts ; les autres suivent ; et toute cette bande joyeuse tombe comme une avalanche dans chaque maison qui possède une jeune fille en âge de danger ; pas une n’est oubliée ; et c’est alors un mélange de bruyants éclats de rire qui se prolongent comme un écho, et de petits cris d’étonnement ou d’effroi.


La jeune fille, surprise dans son négligé du matin, et le regard encore voilé par un sommeil trop tôt interrompu, a l’air embarrassée devant tous ces garçons ; elle sent qu’une vive rougeur colore ses joues pâlies par la fatigue du dimanche ; elle se retourne vivement pour cacher son trouble, et fait semblant de ne pas trouver dans l’armoire la jarretière qu’elle y a pourtant toute préparée d’avance.
Les parents rient de l’embarras où ils voient leur enfant, pendant qu’au coin de l’âtre l’aïeule repasse en sa mémoire ses souvenirs d’enfance. Elle aussi a donné sa jarretière il y a quelque cinquante ans. Jeune fille alors, forte et droite, elle avait pour amoureux le plus solide gaillard du village. Comme elle était fière, lorsque au bras de son Pierre, elle se promenait dans la salle du bal, et comme elle était heureuse lorsqu’il l’enlaçait de son bras d’hercule aux premières mesures de la valse !... Hélas ! ce temps est loin, et depuis bien des chagrins ont assailli l’aïeule !... Il y a cinq ans déjà que son pauvre Pierrot est dans la tombe !...

A ce dernier souvenir, une larme glisse, silencieuse, sur son visage ridé ; puis son œil humide se lève lentement sur les jeunes gens, et devant toutes ces figures épanouies, la vieille oublie subitement sa tristesse et sourit en voyant sa petite-fille qui apporte enfin le fameux ruban, et timidement le donne au porte-jarretières. Pendant que ce dernier le suspend au cerceau, un autre jeune homme offre à l’ingénue sa rude main de paysan, et sans façon, la prenant par la taille, danse avec elle quelques pas de polka.

Puis toute la troupe s’échappe, et toujours précédée du violoneux qui recommence son éternel del tarte à pimmes,... elle va dans une autre maison trouver une autre jeune fille qui ornera le cerceau d’une nouvelle jarretière.

Quand toutes les rues ont été suivies, et que chaque danseuse a livré son ruban, le cortège reprend la route du bal et y rentre. Les jeunes filles arrivent bientôt après ; les couples se forment au fur et à mesure, et quelques quadrilles précèdent la Vente des Jarretières.

Plusieurs jeunes gens sont préposés à cette vente. L’un figure le notaire : ample redingote, chapeau noir et cravate noire entourant un gigantesque col de chemise en papier, d’où sort un menton qu’il s’efforce de rendre triple ; d’ailleurs l’air très grave et très digne, ou du moins s’efforçant d’être tel. Ce pseudo-notaire porte à l’oreille un énorme porte-plume et à la main un registre où il doit inscrire l’acte de vente.
Près de lui et juché sur une table boiteuse, apparaît le crieur. Celui-ci veut être amusant autant que le notaire essaie d’être sérieux. Il porte un accoutrement qu’il a composé le plus bizarrement possible : sur sa tête enfarinée, il a équilibré un vieux chapeau que des coups de poing répétés ont transformé en accordéon ; dans un vêtement hors d’usage, il s’est taillé un habit à queue, une basque dépassant l’autre, et sur les côtés deux énormes poches d’où il n’oublie jamais de laisser pendre la moitié d’un grand mouchoir à carreaux. Un gilet fond vert-pomme avec des fleurs jaunes dissimule mal une paire de bretelles qui tirent de-toute leur force sur un pantalon trop court ; un vrai pitre de foire, enfin, avec cette différence qu’aux fêtes foraines c’est un paillasse qui imite les paysans, et qu’ici c’est un paysan qui singe les paillasses des villes.

Enfin un troisième remplit de son mieux les fonctions de garde-champêtre, et répète, en voix de basse, la mise à prix du crieur. Après maintes simagrées de ce burlesque trio, chacune des jarretières est adjugée à sa propriétaire, comme il est convenu d’avance ; et c’est à chaque vente une explosion de réflexions et de bons mots qui, certes, ne sont pas toujours bien spirituels, mais qui excitent le vrai rire et cette franche gaieté, débarrassée de toute étiquette, que l’on rencontre trop rarement dans les soirées parisiennes.
Quand la dernière jarretière est vendue, l’orchestre soulève toute la jeunesse dans un galop frénétique, puis danseurs et danseuses vont au cabaret dépenser en sirops et en chopes de bière le produit de la vente, et avant de se quitter, tous ces Roméos picards donnent à leurs Juliettes rendez-vous pour le bal du soir.

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